Chaque année, la SSUP aide plusieurs centaines de personnes et familles à faire face à des urgences financières. Pour cela, elle utilise soit des fonds propres, soit des moyens qui lui ont été confiés par des donateurs ou des fondations. Un savoir-faire ciblé est désormais nécessaire pour offrir un soutien pertinent, efficace et responsable aux effets durables.
Les requêtes doivent nous être adressées par l’intermédiaire d’un service social ou communal ou d’une organisation ayant une fonction similaire.
Elles doivent être accompagnées de toutes informations utiles concernant la personne requérante, d’un budget prévisionnel et éventuellement d’un état patrimonial. Elles doivent enfin présenter l’utilisation qui sera faite de l’aide sollicitée ainsi que les perspectives (voir fiche d’information).
La SSUP n’examine plus les demandes d’un montant inférieur à CHF 2000.-.
Pour soumettre une demande d’aide individuelle, il convient de remplir le formulaire-type de la SSUP.
La politique d’austérité frappe les plus faibles
En Suisse, de plus en plus de personnes sont obligées de recourir à l’aide sociale, et elles ont de plus en plus de mal à s’en affranchir par la suite. Dans le même temps, les services communaux d’aide sociale subissent une pression grandissante afin d’économiser du temps et de l’argent. Pour la SSUP, il en est résulté une recrudescence des demandes d’aide individuelle.
La SSUP diffuse des informations sur l’aide sociale
Comme par le passé, en 2016 encore, les services communaux d’aide sociale, pour des raisons d’économie, ont répercuté des tâches et dépenses, relevant pourtant de leur responsabilité, sur la SSUP et d’autres organisations sociales privées. La pression financière augmente également du côté de l’assurance invalidité. Aujourd’hui, pour qui requiert une rente de l’AI, le délai d’attente se mesure en années. Et les raisons motivant les refus de rente sont très souvent incompréhensibles, tant pour les services sociaux que pour les médecins. Au cours de ces dernières années, ont été réduits les moyens investis sur la durée, notamment pour une formation ou des mesures d’intégration, ce qui a pour conséquence que la pauvreté est davantage administrée que combattue. La SSUP a donc décidé de participer au financement du guide sur l’aide sociale de Corinne Strebel, intitulé «Wenn das Geld nicht reicht» (Lorsqu’il n’y pas assez d’argent). La SSUP a même enrichi l’ouvrage par des exemples tirés de son programme d’aide individuelle. L’ouvrage a été rédigé à l’intention des personnes frappées par la pauvreté afin qu’elles puissent s’informer sur leurs droits et obligations. Toutefois, il a sa place également sur les bureaux des fondations, œuvres caritatives et conseillers en charge de dossiers individuels. Enfin, ce guide devrait faire partie des lectures obligatoires du personnel travaillant dans les services communaux d’aide sociale, voire des décideurs communaux.
Histoires à faire peur versus succès à fêter
Parfois on a peine à en croire ses yeux lorsque l’on parcourt les requêtes des services sociaux. Exemples: Madame A. travaille à plein temps et pourtant, elle a du mal à joindre les deux bouts. La demande de rente AI de son époux est en attente depuis quatre ans. Elle ne peut prétendre à l’aide sociale, son revenu dépassant légèrement le seuil du minimum vital. Le service social lui conseille donc de divorcer ou de donner sa démission à son employeur! Madame B. se voit amputer son aide sociale de 600 francs, le service social invoquant qu’elle perçoit des pensions alimentaires du père de ses enfants. Or, il est avéré que ce dernier ne paie pas les pensions dues! Madame L., originaire de Turquie, demande au service social de sa commune de l’aider dans la rédaction d’une demande de soutien pour une formation professionnelle. Le service social refuse, suite à quoi Madame L. s’adresse au service social de son ancienne commune de résidence, lequel l’assiste dans sa démarche! Heureusement, la SSUP a également reçu des retours positifs de la part de personnes secourues ou qui ont pu retrouver un emploi, rembourser leurs dettes, rester vivre dans leur appartement, suivre une thérapie ou obtenir des soins dentaires… Ainsi, un homme ayant obtenu de la SSUP, en 1998, une aide financière en vue d’une formation, a remboursé cette somme en été 2016, sans que cela lui ait été demandé: il voulait que la SSUP puisse mettre ce montant à la disposition d’une autre personne désireuse de suivre une formation. Un service social a envoyé une lettre de remerciement à la SSUP: «Je souhaite vous remercier encore une fois, également au nom de Monsieur C., pour la somme de 2000 francs que la SSUP a versée pour les leçons de conduite de Monsieur C. Ce dernier a réussi son examen et grâce à son permis de conduire, il peut maintenant se faire embaucher, ce qui lui permet de s’affranchir de l’aide sociale.» Une autre lettre de remerciement nous est parvenue du canton de Vaud: «Grâce à votre soutien, Madame D. a pu suivre la formation proposée par GastroVaud, et ce certificat de capacité cantonal lui a permis de décrocher un emploi dans un restaurant. Elle n’a donc plus besoin d’aide sociale.»
L’aide sociale n’est pas une aumône
En 2016, la SSUP a poursuivi son œuvre dans le domaine caritatif: à l’instar des 215 précédentes années, elle a aidé financièrement des personnes et familles affectées par la pauvreté. En outre, elle a soutenu la rédaction de l’ouvrage intitulé «Wenn das Geld fehlt» (Lorsque l’argent manque), paru dans une série de guides édités par le Beobachter. Lukas Niederberger, directeur de la SSUP, s’est entretenu avec le professeur Walter Schmid, ancien directeur de la «Hochschule für Soziale Arbeit» de Lucerne et ancien président de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS).
Monsieur Schmid, vous êtes une grande figure du domaine social en Suisse. Durant 15 ans, vous avez présidé la CSIAS, vous avez dirigé l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, et vous étiez responsable du projet de la Fondation de solidarité. Jusqu’à récemment, vous avez été directeur de la «Hochschule für Soziale Arbeit» de Lucerne. Vous savez ce qui ne va pas pour qui entre Rorschach, Genève et Lugano. Comment percevez-vous la pauvreté dans cette Suisse pourtant riche, lorsque vous la comparez à la situation de 1980 ou auparavant?
De nos jours, la pauvreté est perçue comme l’échec d’une personne individuelle, ce qui n’était pas le cas auparavant. Le ou la pauvre n’a pas réussi. Plus une partie de la population devient aisée, et plus la raison de l’échec est imputée aux individus. Les raisons structurelles de la pauvreté sont rarement thématisées en public. Je prends deux exemples: D’abord, les prestations insuffisantes pour les familles à faible revenu, qui pourtant expliquent sans doute pourquoi, en Suisse, un enfant sur dix dépend de l’aide sociale. Ensuite, le fait que les personnes de plus de 50 ans ayant perdu leur emploi n’en retrouvent plus guère. C’est structurel, toutes ces personnes désespérées qui aimeraient tant travailler mais qui ne sont plus embauchées et se sentent abandonnées par la société!
Comment favoriser l’embauche des plus de 50 ans? Faut-il une contrainte légale ou des incitations fiscales? Des programmes de coaching ou de mentoring plus efficaces que ceux des centres régionaux de placement? Ou encore des entreprises sociales comme «Dock Gruppe»?
Par des amendements au niveau des lois, il est tout d’abord possible de supprimer certaines incitations aux effets pervers. Ainsi, les charges sociales des employeurs ne devraient pas augmenter pour les classes d’âge supérieures; elles devraient bien au contraire diminuer. Ensuite, il serait souhaitable d’étudier les incitations fiscales. Les syndicats et les employeurs doivent enfin comprendre qu’aucune loi de la nature ne dicte une augmentation linéaire des salaires au fil de l’âge. Ce mécanisme a pour conséquence qu’employer du personnel âgé revient trop cher. Ce qui manque, ce sont des partenaires sociaux innovateurs qui développent de nouveaux modèles d’emploi et d’heures de travail afin de créer des situations intéressantes pour toutes les parties impliquées. Au cours de ces dernières années, tout le monde a parlé du manque de personnels qualifiés guettant notre économie. Mais pour les chômeurs de plus de 50 ans, rien n’a changé pour autant.
Vous avez présidé la Conférence suisse des institutions d’action sociale, la CSIAS. Les directives de la CSIAS ne sont pas contraignantes; elles n’ont pas non plus de légitimation démocratique; elles ont plutôt le caractère de recommandations. De nombreuses communes ne respectent pas les directives de la CSIAS, fixant elles-mêmes le minimum vital. Certaines n’ont pas adapté leur contribution aux frais de logement depuis des décennies! D’autres font tout pour décourager les bénéficiaires d’aide sociale. Ainsi, on les oblige à se reloger dans des appartements moins chers sans toutefois les aider lorsqu’un déménagement rapide s’accompagne du paiement de deux loyers pendant un ou deux mois. Il est vrai que les citoyens peuvent élire des conseillers communaux à l’esprit plus social. Mais n’y aurait-il pas d’autres solutions pour éviter que les communes ne se contentent de fermer le robinet de l’aide sociale pour faire des économies?
Vous soulevez toute une série de problèmes. L’harmonisation des normes d’aide sociale à l’échelle suisse n’est pas exigée depuis hier. Si les directives de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) ont permis d’instaurer un certain équilibre au cours de ces dernières années, il appartient toujours aux cantons de décider de l’aide sociale – et les cantons laissent aux communes une grande liberté d’action. Mais que ce soit la Conférence suisse des institutions d’action sociale ou la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales, ce ne sont toujours que des recommandations. L’évolution récente observée au canton de Berne et qui vise à contourner les directives décidées il y a peu, démontre l’efficacité limitée de telles recommandations. Pour peu que les membres d’un exécutif communal ne soient pas en position de force, ils ont tendance à céder à des courants populistes en ce qui concerne l’aide sociale, sans tenir compte des efforts d’harmonisation intercantonaux. La solution serait sans doute fédérale, même si le Parlement l’a encore récemment refusée. La tendance à repousser les personnes requérant de l’aide sociale n’est pas liée aux directives; c’est tout simplement la tentative de ne pas avoir de demande à traiter – ou de dégoûter les bénéficiaires d’aide sociale au point qu’ils claquent la porte. Je trouve cette tactique déplorable. Bien sûr, au niveau de l’aide sociale comme ailleurs, il convient d’être économe et de bien gérer les moyens. Une péréquation équitable des charges permettrait au moins d’éviter que certaines communes soient particulièrement sollicitées, voire perdantes à la fin.
En Suisse, la pauvreté est davantage administrée que combattue. Ainsi, la plupart des communes refusent de financer des formations continues ou des cours de conduite alors qu’elles amélioreraient les chances des personnes de s’affranchir de l’aide sociale et d’intégrer le monde du travail. Comment rendre l’aide sociale plus professionnelle et plus durable? Faut-il organiser les services d’aide sociale au plan régional, par analogie aux autorités de protection de l’enfant et de l’adulte qui ont remplacé les autorités communales de tutelle? Ou la solution réside-t-elle en une formation de base en travail social qui deviendrait obligatoire pour tous les responsables communaux et chargés de dossiers au service social?
D’abord j’aimerais souligner que les autres communes existent, celles où les autorités et le personnel spécialisé ont compris que l’investissement individuel porte ses fruits lorsqu’il permet à une personne de s’affranchir de l’aide sociale. Une chose est sûre: il est important que le personnel assurant les contacts directs ait les qualifications requises. C’est pourquoi il est souhaitable que les petites communes ne disposant pas de service social à part entière s’associent entre elles.
Du fait que les communes déterminent le type d’aide sociale accordée ainsi que son montant, le principe de l’égalité des droits n’est pas respecté. Les besoins de base et les franchises diffèrent en fonction du domicile des bénéficiaires d’aide sociale. Dans certains cantons, les familles peuvent prétendre à des prestations complémentaires. Selon les cantons et communes, les bénéficiaires d’aide sociale doivent payer les soins dentaires partiellement de leur poche et ils doivent rembourser les montants perçus – tôt, tard ou jamais. L’Initiative des villes pour la politique sociale et la CSIAS plaident en faveur d’une loi-cadre fédérale pour régler l’aide sociale. L’Association des Communes Suisses verrait bien un concordat cantonal. A l’avenir, la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales adoptera les modifications essentielles des directives. Alors comment pourrons-nous garantir l’égalité des droits au niveau national? Quelles solutions, qui ne mettraient pas des décennies à venir, espérez-vous?
En partie, les inégalités au niveau des droits fâchent en effet. Mais il faut dire que c’est le prix à payer dans un système fédéral; les inégalités lui sont inhérentes: sur le plan fiscal, au niveau des réductions des primes de caisse maladie, de la santé publique, des prix des crèches, etc. Il convient de toujours se poser la question si les inégalités peuvent se justifier et pour quels motifs. En ce qui concerne l’aide sociale, je ne vois pas de raisons pertinentes, sauf pour les primes de caisse maladie et les frais de logement qui diffèrent vraiment beaucoup d’un endroit à un autre. En revanche, pour ce qui est des besoins de base, des allocations complémentaires ou de la prise en charge de dépenses exceptionnelles, il n’y a pas de raison à mon avis. Au contraire: la Constitution exige l’égalité de traitement dans des situations comparables. Etant donné qu’une loi fédérale n’est pas pour demain, ni pour après-demain, et qu’un concordat cantonal prendra sans doute le siècle, je fonde mes espoirs dans la jurisprudence, laquelle pourrait pallier aux inégalités les plus criantes.
En Suisse, environ 9 % de la population sont affectés par la pauvreté. Pour l’année 2014, 261 983 personnes étaient bénéficiaires d’aide sociale. L’aide sociale est principalement financée par les impôts. Selon vous, quels autres modèles de financement seraient requis et réalisables? Serait-il utile d’imposer les transactions financières, l’énergie ou la consommation tout court? Le revenu de base serait-il une solution? Ou ne pourrons-nous pas nous soustraire à la réactivation d’un système dans lequel les individus assument davantage de responsabilité pour eux-mêmes, leurs enfants, frères et sœurs, parents et grands-parents?
Je pense que de nos jours, de nombreuses personnes assument des responsabilités pour leurs proches et prochains. Le taux élevé de non-perception de l’aide sociale, autrement dit le nombre de personnes ne disposant pas d’un revenu leur permettant de subvenir à leurs besoins vitaux et qui renoncent pourtant à percevoir l’aide sociale à laquelle ils pourraient prétendre, ce taux prouve que la solidarité au sein des familles, entre les générations et entre amis, oui, cela existe. Que l’aide sociale soit financée par les impôts n’est pas forcément un désavantage à mon sens. Contrairement à l’AI et à l’AVS qui doivent être assainies régulièrement à grands frais, les dépenses de l’aide sociale s’inscrivent aux budgets courants. En revanche, il serait possible de diminuer sensiblement la pression politique si l’aide sociale n’était plus financée par les communes mais par les cantons. Les cantons romands montrent l’exemple; en Romandie, l’aide sociale est moins politisée et moins scandalisée qu’en Suisse alémanique. Etant donné que l’aide sociale ne représente que trois pour cent des dépenses sociales globales – beaucoup de personnes ignorent la faible part de l’aide sociale comparée aux dépenses sociales totales – ce n’est pas par l’aide sociale qu’arriveront les nouveaux modèles de financement dont notre société aura besoin dans le futur.
Il n’est pas rare que dans une famille, la pauvreté soit héritée des aînés. Quelle est la formule magique?
Je n’aime pas l’analogie à l’héritage. Même si ce n’est qu’une métaphore, elle donne l’impression que la pauvreté a un côté génétique. C’est un débat que nous avons connu dans le passé. Je préfère que l’on parle d’une consolidation de la pauvreté. Oui, c’est un phénomène qui existe: Celui ou celle qui ne connaît le travail que par ouï-dire, personne dans la famille n’ayant jamais eu un emploi, celui-là et celle-là courent un grand risque de rester au chômage. Au centre de nos préoccupations, il convient de placer la rupture avec le manque de perspectives. C’est lui qui suscite l’impression d’une fatalité et empêche de passer à l’acte. Ouvrir des perspectives et des opportunités – voilà la formule magique.
Pour conclure, à votre avis, que faudrait-il à la Suisse pour qu’elle soit équitable et solidaire?
Je souhaiterais un pays qui accorde de la place à des sujets autrement plus importants que les économies et la concurrence.
L’aide sociale doit être assurée
En janvier 2018 a vu la publication d’un nouveau livre intitulé «Lorsque l’argent vientà manquer”. Voici comment fonctionnent les assurances sociales et l’aide sociale). L’auteure de l’ouvrage est Corinne Strebel Schlatter du Centre de conseils du périodique alémanique «Beobachter». La SSUP a soutenu la parution de cet ouvrage. Elle a également financé la traduction et l’adaptation au public cible en Suisse romande. Pour l’occasion, elle publie ici une interview de Corinne Strebel Schlatter et Walter Noser, directeur de la fondation «SOS Beobachter».
En pleine période creuse de l’été 2015, les médias ont rapporté une hausse du nombre des communes qui révisent leur aide sociale à la baisse, découragent les personnes bénéficiaires d’aide sociale ou prétendant à cette aide ou démissionnent purement et simplement de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS). Comment interprétez-vous cette tendance? Et que faire pour la contrer?
Walter Noser: On ne parviendra pas à la contrer. La conséquence: Au cours des prochaines années, la pauvreté sera administrée en Suisse au lieu d’être combattue. En effet, les autorités compétentes en première instance pour décider de l’aide sociale continueront à être constituées de profanes. Tant qu’il n’y aura pas de changement à ce niveau, le coût de l’aide sociale continuera à peser sur les budgets communaux au lieu d’être assumé par la Confédération. Ceci du simple fait qu’une loi-cadre fédérale sur l’aide sociale fait défaut et qu’elle n’est pas en vue. En effet, aucun politicien ni aucun parti politique ne souhaitent se brûler les doigts avec l’aide sociale.
Au cœur de l’été 2016, les médias se sont référés à une étude de la Haute école spécialisée de Berne pour rapporter que parmi les personnes ayant droit à une aide de l’État, 26,3 pour cent ne la demandent pas. Ce chiffre est celui du canton de Berne. Dans les communes plus petites à la campagne et, a fortiori, celles gérées par une majorité bourgeoise, jusqu’à 50 pour cent des ayants droit semblent renoncer à se présenter au service social de leur commune parce que cela les gêne, qu’ils ont peur, qu’ils subissent des pressions ou ignorent tout simplement leurs droits. Qu’en dites-vous? Comment faire pour que les personnes démunies surmontent leur appréhension des autorités?
Walter Noser: Les autorités devraient faire les démarches et non les personnes démunies. Sur la base de leur déclaration d’impôts, les personnes démunies devraient être informées par l’administration qu’elles ont non seulement droit à une réduction de leur prime de caisse maladie, mais également à un soutien complémentaire de la part de l’État.
En Suisse, de nombreuses personnes deviennent dépendantes de l’aide sociale suite à un accident. En effet, le traitement d’un dossier de demande de rente d’invalidité peut durer jusqu’à quatre ans. Cette lacune dans le système d’assurances sociales est absurde. Y aurait-il des solutions à cela?
Corinne Strebel Schlatter: Tant que chaque assurance sociale et l’aide sociale fonctionneront de manière totalement indépendante, rien ne changera. Il y plusieurs années, la politique a demandé à l’assurance invalidité des efforts d’assainissement. De cet assainissement ont résulté des obstacles insurmontables pour certaines personnes qui, de fait, se trouvent exclues de l’assurance invalidité. Pour remédier à cette défaillance du système, il conviendrait de reconsidérer la sécurité sociale suisse dans son ensemble. La politique actuelle ne permet que rarement de faire des économies; la plupart du temps, de simples redistributions sont opérées d’une caisse à une autre.
Certains services sociaux refusent de payer aux bénéficiaires d’aide sociale une formation alors que celle-ci les aiderait à reprendre leur indépendance et à se passer de l’aide sociale. Ces services préfèrent prendre le risque que les personnes démunies continuent à percevoir l’aide sociale jusqu’à l’âge de la retraite. Ce manque d’ouverture est tout sauf durable, et du point de vue de l’économie nationale, c’est un non-sens. Existe-t-il des solutions administratives à ce niveau?
Walter Noser: Il serait sans doute possible de convaincre les services sociaux – qui emploient souvent des assistants sociaux professionnels. Le vrai problème réside au niveau des autorités communales de milice, lesquelles ne voient que par le budget annuel et n’ont aucune vision de plus long terme. Ainsi, la pauvreté est administrée au lieu d’être combattue. Il faudrait des autorités professionnelles. La solution passerait par là.
Votre «guide de l’aide sociale» s’adresse tout d’abord aux personnes démunies elles-mêmes. Il vise à les encourager et à leur donner les informations nécessaires pour se défendre envers les services sociaux. D’autre part, vous écrivez que le personnel des services sociaux, des fondations et des administrateurs de biens manque souvent des compétences nécessaires pour traiter les demandes de soutien reçues de personnes démunies. En effet, les règles de l’aide sociale diffèrent d’un canton à l’autre et même, pour certaines, d’une commune à l’autre. Votre guide pourrait-il être utile à ces employés ou quelles autres informations faudrait-il leur donner prioritairement?
Corinne Strebel Schlatter: Ces employés devraient lire mon livre afin de comprendre de quoi souffrent principalement les bénéficiaires d’aide sociale: Mon guide thématise les problèmes de ces personnes et répond aux questions qu’elles posent tous les jours au Centre de conseils du Beobachter. Mon livre peut permettre aux employés des services de changer d’optique.
En Suisse et pour l’année 2014, 261’983 personnes étaient bénéficiaires d’aide sociale, ce qui représente 24’488 personnes de plus que dix ans plus tôt. L’aide sociale est principalement financée par l’imposition des salaires. Selon vous, quels autres modèles de financement seraient requis et réalisables? Serait-il utile d’imposer les transactions financières, l’énergie ou la consommation tout court? Le revenu de base serait-il une solution? Ou ne pourrons-nous pas nous soustraire à la réactivation d’un système dans lequel les individus assument davantage de responsabilité pour eux-mêmes, leurs enfants, frères et sœurs, parents et grands-parents?
Corinne Strebel Schlatter: Le nombre de bénéficiaires d’aide sociale est en hausse depuis dix ans. Toutefois, les fonds qui leur sont attribués sont très limités: ils ne représentent que 3 pour cent des dépenses de la sécurité sociale. Il est d’autant plus surprenant que l’aide sociale soit dans le collimateur. Il conviendrait toutefois de discuter d’autres modèles de financement, c’est sûr. Non pour des raisons de politique financière, mais au sens d’une professionnalisation et pour assurer l’égalité des chances. Et pourquoi ne pas instituer une assurance pour l’aide sociale? Une loi-cadre fédérale sur l’aide sociale, associée à un financement sous forme d’assurance, permettrait d’atténuer sensiblement de nombreux problèmes actuels de l’aide sociale.
Outre le financement d’une pauvreté avérée, la prévention des cas de pauvreté potentiels ou menaçants serait même encore plus importante. Il ressort de plusieurs études que la pauvreté est quasiment héréditaire. En effet, les enfants grandissant dans des familles démunies ont de moins bonnes chances, en termes de formation, que les enfants issus de couches moyennes proches de l’éducation. Ainsi, les jalons sont pratiquement posés dès la première scolarisation: ce sera la pauvreté pour les uns et l’aisance pour les autres. Le mot magique serait par conséquent: éducation précoce. Que pensez-vous de cette approche?
Corinne Strebel Schlatter: L’éducation précoce est un levier incontestable de la lutte contre la pauvreté. Ces programmes contribuent à une stimulation intellectuelle des enfants des familles pauvres, dès avant leur scolarisation et de manière à ce qu’ils commencent leur cursus scolaire sans déficits notoires comparés aux autres enfants. Toutefois, ce n’est pas suffisant. Notre système scolaire s’appuie beaucoup sur le soutien des parents. Au fur et à mesure que les enfants progressent en scolarité, l’écart se creuse entre les enfants issus de familles proches ou éloignées de l’éducation. Le système scolaire aussi doit tenir compte de la lutte contre la pauvreté. Il doit encourager et soutenir les enfants des familles éloignées de l’éducation et rechercher activement des solutions.
Walter Noser et Corinne Strebel Schlatter ont répondu aux questions de Lukas Niederberger, directeur de la SSUP
Administration inefficace de la pauvreté
Certains économistes défendent la thèse qu’un revenu minimum de base permettrait de mieux atténuer la pauvreté
en Suisse que le système d’assurances sociales très complexe et cher en personnel que nous connaissons actuellement
avec les assurances vieillesse, maladie, chômage et invalidité, les prestations complémentaires et l’aide sociale. Ainsi, des personnes sont obligées de vivre de l’aide sociale à la suite d’un accident qui les a rendues inaptes au travail; en effet, elles attendent parfois jusqu’à quatre ans avant d’obtenir une réponse à leur demande de rente d’invalidité. Enfin, les services sociaux communaux subissent une pression politique grandissante à faire davantage
d’économies, et les personnes démunies en font les frais. De ce fait, les services sociaux demandent de plus en plus
souvent à des fondations de bienfaisance de venir en aide à des personnes vivant de l’aide sociale afin que celles-ci
puissent payer certaines factures ou rembourser des dettes alors même qu’il appartiendrait à l’Etat de couvrir ces dépenses. La SSUP finance actuellement la rédaction d’un guide sous le titre «Kein Geld?!» (Pas d’argent?!) à paraître en automne 2016. Cet ouvrage exposera clairement les responsabilités dans le domaine social, non seulement aux services sociaux mais encore aux administrateurs, fondations de bienfaisance et personnes démunies.
Traitements dentaires en baisse
L’an dernier, nous avons relaté ici que la SSUP avait, au cours des années précédentes, reçu un nombre croissant
de demandes pour financer des travaux dentaires. Suite à des entretiens avec l’association des dentistes suisses, la
SSUP exige désormais une seconde opinion de la part d’un dentiste-conseil, lequel doit confirmer que les traitements
envisagés sont conformes aux directives de la CSIAS, qu’ils sont efficaces, utiles et économiques. Cette pratique
a entraîné pour la SSUP une baisse de 80 % des traitements dentaires.
Assistance rapide, efficacité améliorée
Grâce à la SSUP, de nombreuses personnes parviennent à faire face à une urgence financière, voire à se sortir de
l’aide sociale. Le fait que des dons soient utilisés pour rembourser des dettes est souvent critiqué: cela reviendrait
à réparer le cerclage d’un tonneau sans fond. C’est pourquoi la SSUP exige que les personnes ayant bénéficié d’une
aide pour rembourser des dettes, soient encadrées pendant un certain temps par des conseillers spécialisés en matière de budget. Exemple: La SSUP a assisté de cette manière une mère élevant seule ses enfants; elle était longtemps restée au chômage et s’était endettée. Une fois ses dettes remboursées, ses revenus ont suffi de nouveau pour faire face aux dépenses du ménage. Son système familial s’est stabilisé, finances et santé compris. La SSUP finance également des formations utiles à l’intégration ou à la réinsertion professionnelle. Exemple: La SSUP a aidé un père de famille de 36 ans qui n’était autorisé à travailler que temporairement comme chauffeur car pour une activité fixe, il lui manquait le certificat d’aptitudes de transports professionnels. Immédiatement après avoir passé l’examen pratique de conduite, il a obtenu un vrai contrat de travail à plein temps et il a pu quitter l’aide sociale