25. avril 2024
Parlons du Grütli: six questions à Nicola Forster, président de la SSUP
Nicola Forster, le Conseil national a approuvé la motion Aeschi de justesse. Et ce, bien que le Conseil fédéral ait donné une réponse négative et indiqué que la motion ne permettrait pas de résoudre le problème initial. Quelle est votre réaction face à cela?
Le chef de fraction UDC Thomas Aeschi est manifestement parvenu à rallier d’autres personnes à sa cause. Au sein du comité exécutif de la SSUP, la rupture visée avec le traité en vigueur depuis 1860 nous donne naturellement à réfléchir. Nous chercherons certainement le dialogue avec les parlementaires afin de mieux comprendre comment cette décision a été prise.
Que signifie cette décision pour la SSUP?
Elle a d’une part une signification symbolique: nous prenons au sérieux le signal donné par le Conseil national. Nous aimerions pouvoir le comprendre et sommes ouverts au dialogue. Nous répondrons également très volontiers à l’invitation à prendre un café de la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter.
D’autre part, cette décision concerne concrètement la motion: le processus passe maintenant à l’étape suivante. Le Conseil fédéral s’est prononcé contre la motion, le Conseil national l’a approuvée de justesse. Le Conseil des États va maintenant se prononcer. La démocratie doit désormais suivre son cours. Le Conseil fédéral a toutefois clairement indiqué que la résiliation unilatérale de l’accord entre la Confédération et la SSUP n’entraînerait pas le transfert de la gestion du Grütli à la Confédération.
Comprenez-vous les critiques formulées à l’encontre de la gestion du Grütli par la SSUP?
Personnellement, ce qui me dérange, c’est l’affirmation souvent répétée selon laquelle l’État doit «se réapproprier le Grütli». J’aimerais rappeler que c’est la SSUP qui a acheté le Grütli en 1859 pour le sauver d’un complexe hôtelier. La SSUP souhaitait conserver le «berceau de la Confédération» pour la collectivité et l’a donc offert à la Confédération en 1860. L’acte stipule comme condition que le Grütli soit géré en contrepartie par la SSUP. Depuis – c’est-à-dire depuis plus de 160 ans! – c’est ainsi que l’on procède. Une tradition fière: le Grütli n’a donc jamais été géré par la Confédération, mais toujours par la société civile. Il est intéressant de constater que c’est justement un représentant de l’UDC qui demande aujourd’hui l’étatisation de la gestion du Grütli.
En tant qu’administratrice du Grütli, la SSUP a d’ailleurs dû faire face à des périodes difficiles, comme dans les années 2000, lorsque l’extrême droite a défilé lors de la fête du 1er août et qu’il y a même eu une détonation.
Le Grütli doit donc rester entre les mains de la SSUP?
En tant que SSUP, nous partageons l’avis selon lequel le Grütli appartient à la collectivité et doit impérativement être un Grütli accessible à tous. La SSUP se contente de gérer le Grütli, et elle le fait de manière très consciencieuse. Elle s’occupe par exemple aussi du choix du gérant (agriculture et restaurant) et du Musée Grütli. En plus d’organiser chaque année gratuitement pour le public la Fête fédérale qui s’y déroule et accueille jusqu’à 2000 participants, elle invite également, en tant qu’organisatrice, les oratrices et orateurs de la Fête fédérale, ce qui semble déranger Thomas Aeschi. Cela s’inscrit dans la tradition des fêtes du 1er août dans toute la Suisse. Celles-ci ne sont pas non plus organisées de manière centralisée «d’en haut». Je ne reconnais pas la partialité dont se plaint M. Aeschi dans notre sélection: au cours des dernières décennies, nous avons eu et avons toujours des oratrices et orateurs très différents. De plus, nous organisons toujours la fête en collaboration avec des organisations passionnantes, de Pro Juventute à la Croix-Bleue; et l’Association Suisse de Football, l’Association de Lutte ou encore l’organisation de femmes alliance F ont ainsi déjà participé à l’organisation.
Il nous tient explicitement à cœur de donner à différentes voix la possibilité de s’exprimer. La critique d’un «cours gauche-progressif» est vide de sens: durant mon mandat, nous avons invité des conseillères et conseillers fédéraux de tous les partis bourgeois, dont les deux conseillers fédéraux UDC. Ils ont malheureusement tous deux refusé, mais ils sont toujours les bienvenus. Nous entretenons des relations helvétiques respectueuses. Bien entendu, il n’est pas nécessaire pour cela d’avoir toujours la même opinion.
Qu’en déduisez-vous?
Ceux qui gèrent le Grütli et organisent la Fête fédérale sont exposés aux tempêtes publiques – c’était déjà le cas parmi les prédécesseurs bourgeois. Le Grütli n’est pas «une simple prairie pleine de bouse de vache», comme l’avait qualifié Ueli Maurer, alors président de l’UDC. Personnellement, je pense toutefois que la motion Aeschi accorde trop d’importance à la question des oratrices et orateurs du 1er août – soit dit en passant, à l’une des innombrables fêtes fédérales organisées dans tout le pays.
Votre mandat prendra fin lors de la prochaine assemblée générale de la SSUP, en juin. Un nouveau président ou une nouvelle présidente sera alors élu·e. Lors de cette AG, les membres débattront également d’une révision des statuts et de la manière dont la SSUP traitera les demandes d’affiliation suspendues. Cela signifie-t-il que les personnes ayant des demandes d’affiliation en suspens ne peuvent pas participer aux décisions?
Conformément aux statuts, seuls les membres actuels de l’association pourront participer. Étant donné qu’il existe de nombreux malentendus à ce sujet ainsi que des mélanges avec le thème du Grütli, j’aimerais expliquer brièvement pourquoi les demandes ont dû être suspendues: les centaines de demandes d’affiliation reçues peu avant la dernière AG, notamment du chef de fraction UDC Thomas Aeschi et de l’équipe de campagne «Team Liberté», créée pendant la pandémie de coronavirus, ont clairement indiqué une mobilisation politique. Une appropriation de l’association était manifestement à craindre, et le comité exécutif a dû suspendre toutes les demandes afin de protéger l’organisation. Conformément aux statuts, cette responsabilité relève de sa compétence. Toutes les demandes d’affiliation ont bien entendu été traitées sur un pied d’égalité, quelle que soit leur origine idéologique.
Comme décidé par les membres, un groupe de travail a été constitué pour la révision des statuts. Compte tenu des événements survenus lors de la dernière AG, la question de la suspension des affiliations a naturellement été traitée de manière intensive. Ce sont surtout les sociétés d’utilité publique régionales qui ont eu une voix forte; je n’ai moi-même pas fait partie de ce groupe de travail. Entre-temps, celui-ci s’est réuni à plusieurs reprises et a également procédé à une large consultation des membres, à laquelle tous les membres critiques de la SSUP ont bien entendu été invités et dans laquelle ils ont pu s’impliquer. Les membres prendront une décision démocratique sur la proposition élaborée par le groupe de travail lors de la prochaine AG.
Aujourd’hui, tout le monde souhaite que la SSUP puisse se concentrer sur son importante tâche sociale. En effet, la question relative aux oratrices et orateurs du 1er août ne couvre qu’une petite partie de son action avec de nombreux programmes et projets d’utilité publique.
(Interview: Annette Schär)