11. février 2025
Aider les communes à résoudre les conflits enracinés
À quoi sert «Parlons-en»?
Sarah Friederich: Le projet «Parlons-en» a pour but de rétablir le dialogue entre des personnes d’opinions différentes. Plusieurs études révèlent que la société ne cesse de se polariser et que de nombreux individus ne côtoient presque plus des gens qui ne pensent pas comme eux. Cependant, pour que notre démocratie fonctionne correctement, divers avis doivent pouvoir coexister et, en tant que société, nous devons aborder les conflits de manière constructive. Au travers de «Parlons-en», nous souhaitons améliorer la compréhension mutuelle et encourager les pratiques démocratiques.
Lea Suter: À nos yeux, il est important de combler les lacunes de la démocratie. Bien que les votations populaires et les assemblées communales jouent un rôle clé, des occasions propices à un vrai dialogue font souvent défaut. Nous complétons les méthodes existantes à l’aide d’initiatives qui donnent à la population la possibilité de discuter dans une optique constructive.
Plusieurs communes pilotes envisagent de faire appel à vos services pour apaiser des tensions persistantes. Quels sont les défis principaux dans ce contexte?
Lea Suter: Dans une commune, l’utilisation de la vieille ville pose problème. Habitant·e·s, commerçant·e·s, visiteur·euse·s et protection du patrimoine ont des intérêts divergents et des tensions s’installent. Il s’agit de créer un cadre qui met en lumière les différents besoins et qui permet de trouver des modes de collaboration constructifs.
Sarah Friederich: Dans d’autres cas, ce sont des éoliennes ou des projets de construction qui opposent des groupes aux intérêts très divergents.
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Sarah Friederich
Co-directrice «Parlons-en»
Sarah Friederich
Co-directrice «Parlons-en»
«Souvent, les gens sont disposés à dialoguer quand ils savent que leurs avis seront pris au sérieux.»
Quelle est la particularité du projet «Parlons-en»?
Sarah Friederich: Nous proposons d’utiliser des méthodes de médiation et de modération pour faire retomber les tensions, souvent déjà vives, à un niveau qui permet la compréhension de points de vue et de besoins contraires afin d’établir un dialogue constructif. Nous analysons le conflit, discutons avec les parties impliquées et veillons à ce que toutes les opinions pertinentes aient voix au chapitre. Nous créons ainsi un cadre juste et équilibré.
Lea Suter: L’une des grandes différences par rapport aux événements publics que nous organisons est que nous prêtons une grande attention aux personnes qui participent au dialogue. Nous constituons des groupes de manière ciblée afin d’inclure toutes les positions clés. C’est indispensable à la légitimité du processus.
Et comment se déroule ce processus?
Sarah Friederich: Il n’y a pas de solution toute faite. Nous commençons par analyser le contexte et discuter avec les parties en conflit. À partir de là, nous concevons des ateliers sur mesure encadrés par des modératrices expérimentées. Nous créons un cadre sûr, où les gens se sentent écoutés sans se voir immédiatement opposer des contre-arguments.
Prenons un exemple. Imaginons qu’il faille construire une nouvelle rue et que ce projet rencontre de la résistance. Les riverain·e·s s’y opposent parce qu’ils s’inquiètent de la sécurité de leurs enfants ou du bruit. En revanche, les partisan·e·s y voient des avantages économiques ou une amélioration de l’accessibilité. Au cours du processus de dialogue, nous aidons les parties prenantes à comprendre les différents points de vue, mais aussi les besoins sous-jacents. Au final, on comprend que la rue n’est pas un problème en soi, mais que la sécurité routière ou la qualité de vie sont au cœur des préoccupations. En élargissant la réflexion, de nouvelles solutions qui tiennent compte de différents besoins apparaissent.
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Lea Suter
Co-directrice «Parlons-en»
Lea Suter
Co-directrice «Parlons-en»
«Nous effectuons un grand travail en amont afin d’établir une relation de confiance.»
Comment parvenez-vous à réunir autour d’une même table des personnes qui n’ont en fait pas envie de discuter les unes avec les autres?
Lea Suter: Nous effectuons un grand travail en amont afin d’établir une relation de confiance. Nous clarifions les besoins de tous les groupes en échangeant avec eux et nous définissons un processus qui a un sens à leurs yeux. Personne n’est mis en situation de minorité pour que les conditions de départ soient justes.
Sarah Friederich: Souvent, les gens sont disposés à dialoguer quand ils savent que leurs avis seront pris au sérieux. Notre processus vise justement à leur offrir cette garantie.
Qu’espérez-vous que les participantes et participants retiennent à l’issue d’un tel processus?
Sarah Friederich: Une meilleure compréhension des motivations des autres parties impliquées et la capacité de poursuivre le travail de manière constructive pour trouver des solutions. Souvent, les communes en tirent des recommandations qui peuvent servir de base aux décisions politiques.
Vous menez actuellement la phase pilote de votre initiative. Quelles sont les prochaines étapes?
Sarah Friederich: Nous évaluons les projets pilotes et souhaitons proposer «Parlons-en» à d’autres communes. À long terme, nous espérons participer à une gestion constructive des conflits sociétaux.
Lea Suter: Pour l’instant, peu d’acteurs proposent des services spécifiquement axés sur la polarisation des opinions dans les communes. Nous espérons que notre approche pourra servir d’exemple et inspirer d’autres initiatives.
Qu’aimeriez-vous dire aux communes qui hésitent à se lancer dans un processus de dialogue?
Lea Suter: Les conflits font partie de la vie et ils peuvent même avoir des conséquences positives. Mais il ne faut pas les laisser s’envenimer. Une aide extérieure peut adoucir les propos et favoriser un dialogue constructif. Une telle démarche renforce non seulement la cohésion sociale, mais élargit aussi la marge de manœuvre politique de la commune.
«Parlons-en» en bref
«Parlons-en» est une initiative qui invite au dialogue structuré créée par Pro Futuris, le Think + Do Thank de la Société suisse d’utilité publique (SSUP). Elle aide les communes à désamorcer les conflits enracinés et à promouvoir la compréhension mutuelle. Les ateliers de dialogue s’appuient sur des méthodes de médiation et de modération et sont organisés en collaboration avec les communes. L’objectif n’est pas de trouver des solutions immédiates, mais de relancer une discussion qui serve de base aux processus politiques. Ce projet s’adresse aux communes qui souhaitent résoudre de manière constructive des conflits qui opposent leurs habitant·e·s. Au cours de la phase pilote, diverses fondations financent 85% des coûts.