3. août 2020
Exposition au «Musée Grütli» sur l’aide sociale
Depuis sa sortie en 2017, une vingtaine d’étapes de Suisse romande ont déjà accueilli l’exposition de la cinéaste et photographe Ghislaine Heger, montrant les portraits de bénéficiaires d’aide sociale. Parallèlement à l’exposition itinérante, de nombreux débats publics et conférences ont été organisés en Suisse francophone. La Société suisse d’utilité publique (SSUP), administratrice du Grütli dirigeant également le «Musée Grütli», a jugé ce sujet très important et a décidé de financer la traduction des textes en allemand, les enregistrements audio, les productions vidéo et les installations techniques nécessaires au sein du «Musée Grütli». L’exposition pourra donc être présentée dans la prairie, «berceau de la Confédération», où elle sera ouverte en été 2020 et 2021. Pour l’exposition au Musée Grütli, Ghislaine Heger est accompagnée du scénographe Michia Schweizer pour présenter une nouvelle version de l’exposition, plus interactive.
Des visages. Des récits. Des itinéraires entrecoupés par des accidents de la vie.
Les personnes dont les portraits sont exposés ont entre 19 et 63 ans. Leurs destins ont été ou sont aussi personnels que différents: un licenciement, un accident, un divorce, une enfance tourmentée, une situation professionnelle instable ou un peu de tout à la fois. Certaines des personnes représentées n’ont eu besoin de l’aide sociale que pendant quelques semaines ou quelques mois, d’autres vivent de cette aide depuis plusieurs années. La précarité de leur situation les empêche non seulement de participer à la vie sociale et culturelle, mais elle entraîne également des conséquences dramatiques de perte de liens sociaux et de détresse psychologique et morale, redoublées par des préjugés les stigmatisant comme des profiteurs, des «abuseurs» ou des fainéants. Les portraits exposés ont été pris au domicile des victimes. La plupart des personnes ayant accepté de participer au projet d’exposition ont trouvé la session photo très malaisée, ce portrait figeant leur regard dans une situation de vie peu glorieuse qu’elles auraient préféré ne jamais connaître.
Retour sur soi au lieu de voyeurisme de la misère
Par son exposition, Ghislaine Heger et Michia Schweizer voudraient donner une voix à des personnes qui n’en ont souvent pas. Elle veut les laisser être comme elles sont, sans les condamner. Avant tout, l’artiste photographe et vidéaste tente de combattre les clichés simplistes sur l’aide sociale et ses bénéficiaires, et de nous faire prendre conscience que l’histoire des personnes touchées par la pauvreté pourrait tout aussi bien être ou devenir notre propre histoire. L’exposition «Itinéraires entrecoupés» a pour sujet les droits sociaux et l’aide sociale. Elle place les personnes concernées au premier plan: leur portrait photographique apparaît dans un dialogue fructueux et respectueux avec l’auteure de l’exposition, photographe et cinéaste. Quiconque observe les gros plans de ces personnes touchées par la pauvreté se met à créer sa propre histoire pour accompagner ce qu’il voit, ce qui a un effet sur sa lecture des portraits exposés. Ce processus vise à remettre en question nos propres préjugés et stéréotypes. Le visiteur qui fait le lien entre les portraits photographiques et les témoignages oraux, découvre de nouvelles perspectives et commence à se poser des questions. «Et si c’était mon tour?» En regardant les photos, on comprend à quel point et à quelle vitesse une voie que l’on espérait toujours linéaire peut être bouleversée.
Les organisateurs de l’exposition concernés
Ghislaine Heger, auteure et photographe d’«Itinéraires entrecoupés», s’est confrontée en 2008 à la gêne de devoir demander de l’aide, et l’humiliation de devoir se mettre à nu devant des conseillers qui, en un instant, l’ont infantilisée, dépossédée du peu qu’elle avait encore. De cette période difficile sont nées ses réflexions sur ses propres préjugés face aux bénéficiaires de l’aide sociale. De fait, que sait-on d’eux? C’est ainsi qu’elle a décidé de partir à leur rencontre pour connaître leurs trajectoires de vie, faire face à des visages, parfois abîmés, parfois souriants, parfois désillusionnés. Après un diplôme obtenu à la HEAD (Genève) en 2006, en section cinéma, Ghislaine Heger a réalisé des courts métrages et travaillé pour de nombreuses maisons de production en Suisse, ainsi que des festivals de films et autres institutions audiovisuelles. Entre 2012 et 2016, elle coordonne la Tournée de la Nuit du Court métrage dans toute la Suisse romande et au Tessin. Aujourd’hui, elle alterne projets cinématographiques et photographiques dans une veine documentaire et travaille pour des événements culturels en Suisse romande. Pour l’exposition au Musée Grütli, Ghislaine Heger s’est associée avec Michia Schweizer afin de mettre en place une structure qui amène le spectateur à expérimenter, par différents sens, le lien entre la problématique, les personnes qui se livrent et sa propre existence. Michia Schweizer travaille depuis de nombreuses années en tant qu’animateur socioculturel à Fribourg et a réalisé plusieurs scénographies pour le théâtre.
Des connaissances très approximatives sur la pauvreté et l’aide sociale
La Constitution fédérale de 1999 garantit aux habitants du pays, en son article 12, le droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse: «Quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien, a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine».
Malheureusement, la réalité est différente: Sur les quelque 600 000 personnes vivant dans la pauvreté en Suisse, la moitié à peine bénéficient de l’aide sociale de l’Etat, et dans les zones rurales, ce n’est qu’un quart, car le contrôle social et l’ostracisme des personnes ayant besoin d’aide y sont plus importants qu’en ville. D’autres personnes renoncent à l’aide sociale publique de peur des mesures administratives (APEA), craignant la perte de leur statut politique (permis B ou C, dossier de naturalisation en cours), parce qu’elles ne connaissent pas leurs droits, ont du mal à s’exprimer dans la langue officielle ou n’ont pas la force psychique de se présenter auprès des autorités; elles appréhendent les démarches et la bureaucratie, espèrent une amélioration rapide de leurs finances, ne veulent surtout pas perdre leur autonomie et sont convaincues que de toute façon, l’Etat ne combat pas vraiment la pauvreté. 130 000 personnes vivant dans la pauvreté ont un emploi rémunéré régulier, elles sont appelées «travailleurs pauvres».
Beaucoup de gens ne peuvent pas croire qu’en Suisse, huit personnes sur cent sont touchées par la pauvreté, dont beaucoup d’enfants et de jeunes. «Des Suisses…. Devenir pauvres? Diantre!!» Voici un commentaire parmi tant d’autres que l’on peut trouver dans le courrier des lecteurs ou sur les sites des médias lorsque paraît un article sur la précarité en Suisse. En outre, du point de vue néolibéral, l’aide sociale de l’Etat n’est pas à considérer comme une «force de la communauté (qui) se mesure au bien-être du plus faible de ses membres» – ainsi que le précise pourtant le préambule de la Constitution suisse – mais comme une exigence douteuse de la gauche politique, qui empêche les fainéants et les parasites de prendre leur destin en main de manière responsable. «Baisser les coûts de l’aide sociale», «Réduire le nombre de bénéficiaires», ces mots d’ordre prédominent lorsque le sujet est abordé au niveau politique. La pression est d’autant plus forte pour les personnes démunies.
Système social entre glorification et diabolisation
Le système social suisse ne laisse personne sans abri et sans nourriture. Cependant, le droit fondamental à la santé et à l’éducation ne va déjà plus de soi. Certaines des faiblesses du système suisse sont liées à sa structure fédérale: il n’existe pas de loi sociale à l’échelle nationale, donc pas d’égalité des droits non plus. Exemples: Chaque municipalité peut fixer un niveau de loyer au-dessus duquel les bénéficiaires de l’aide sociale ne doivent pas se loger; or, dans certaines communes, impossible de trouver un appartement dont le loyer soit inférieur à la limite fixée. Comme la plupart des communes ne couvrent pas les primes d’assurance maladie ni les dettes de loyer, dans certains cantons, certains bénéficiaires de l’aide sociale ne reçoivent plus qu’une aide médicale d’urgence, d’autres perdent leur logement. Dans tel canton, les communes versent des cautions de loyer, dans tel autre, elles refusent de le faire. Certains cantons réclament le remboursement des aides sociales versées à vie; dans d’autres, les demandes de remboursement d’aides sociales sont prescrites après un certain temps. Il y a encore bien d’autres exemples d’injustice: Dans le cadre de l’aide sociale, peu de communes offrent les conseils juridiques pourtant requis par la Constitution. Lors de l’embauche de personnel pour les services sociaux communaux ou les autorités sociales cantonales, il est rare que des connaissances de base en matière de travail social ou d’assistance sociale soient demandées. Les personnes responsables de ces services ne sont pas non plus obligées de suivre une formation continue régulière en matière de droit de la protection sociale. En outre, les parlements et les votants de certains cantons ont réduit l’aide sociale publique. Toutes ces raisons ont conduit à un nombre croissant de demandes d’aide individuelle auprès des institutions privées. Depuis ces dernières années, des organisations, telles que la Société suisse d’utilité publique (SSUP), le Secours d’hiver, la fondation SOS Beobachter et de nombreuses autres encore, observent cette évolution avec inquiétude. En fin de compte, ce sont les missions et responsabilités définies par la Constitution qui sont en jeu.
Soutenir la «Charte Aide Sociale Suisse»
Fin mars 2019, plusieurs organisations de l’Etat et de la société civile ont présenté la «Charte Aide Social Suisse». Destinée à faire reconnaître de manière plus claire les aspects positifs de l’aide sociale, elle confirme également que celle-ci représente une préoccupation fondamentale d’une large alliance entre l’Etat, l’économie et la société civile.
La Société suisse d’utilité publique (SSUP) soutient cette charte pour cinq raisons:
- Elle nous rappelle, à nous tous, une vérité formulée dans le préambule de la Constitution: la force d’une communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres.
- Elle exige qu’en Suisse, la pauvreté ne soit pas seulement administrée mais qu’elle soit combattue, entre autres par l’éducation et la formation continue.
- Elle vise à réduire le «tourisme» des personnes démunies, en harmonisant les directives relatives à l’aide sociale au niveau des cantons et des communes.
- Elle incite l’Etat à éliminer les obstacles empêchant une personne démunie sur quatre d’exercer son droit à l’aide sociale.
- Elle permet à toutes les personnes habitant notre pays de prendre une part active dans la vie sociale et culturelle.
La charte peut être signée et soutenue aussi bien par des organisations que par des particuliers.
Informations complémentaires: https://charta-sozialhilfe.ch/fr)
Invitation à dresser son propre «budget d’aide sociale»
Pour une personne seule, le seuil de pauvreté est fixé à 2200 francs par mois (abstraction faite des primes de caisse maladie). Pour deux adultes, ce seuil est de 3050 francs; pour un parent vivant seul avec deux enfants, de 3600 francs; pour un couple avec deux enfants, de 4050 francs. Cela semble être beaucoup d’argent.
Dans l’exposition, le visiteur trouve des formulaires en allemand, en français et en anglais, tels qu’ils existent dans les bureaux municipaux d’aide sociale, permettant de dresser un budget pour des personnes en situation de pauvreté et de calculer le montant de l’aide sociale auquel elles peuvent prétendre.
Il est très instructif de simuler une telle situation. On découvre alors à quelles dépenses on devrait concrètement renoncer, alors qu’elles n’ont rien d’exceptionnel en temps normal. On comprend également à quel point un budget d’aide sociale limite la participation à la vie sociale et culturelle.
Concept: Ghislaine Heger, Michia Schweizer
Scénographie: Michia Schweizer
Textes et réalisation film: Ghislaine Heger
Graphisme: Elise Gaud de Buck
Traduction allemande: Hubertus von Gemmingen
Traduction anglaise: Elaine Sheerin
Production: Association Tokyo Moon
Informations complémentaires: www.itineraires-entrecoupes.ch